Le télétravail s’est imposé dans le quotidien de nombreux frontaliers depuis la crise sanitaire. Ce mode d’organisation, autrefois marginal, est devenu une norme pour une partie des travailleurs frontaliers suisses, notamment ceux résidant en France. Mais cette nouvelle flexibilité soulève une question majeure : quelles sont les conséquences fiscales du télétravail pour les frontaliers ?
Entre accords bilatéraux, règles de résidence fiscale et nouveaux seuils de tolérance, la fiscalité du télétravail transfrontalier a connu plusieurs évolutions. En 2023, la France et la Suisse ont signé un accord pérenne fixant un nouveau cadre applicable dès 2025.
Cet article vous aide à mieux comprendre les règles fiscales en vigueur, à anticiper les impacts sur votre imposition et à adopter les bons réflexes pour rester en conformité.
Sommaire
Ce qu’il faut savoir sur le statut de frontalier en télétravail
Le travailleur frontalier est une personne qui réside dans un pays (la France, par exemple) et travaille dans un autre (comme la Suisse), tout en rentrant régulièrement à son domicile. Ce statut spécifique donne accès à certains avantages fiscaux, mais il repose sur un principe-clé : l’exercice habituel de l’activité professionnelle dans le pays d’emploi.
Or, avec le télétravail, cette logique est bousculée. Travailler plusieurs jours par semaine depuis son domicile en France peut remettre en cause le régime fiscal applicable.
Télétravail frontalier : un cas particulier
Dans un contexte transfrontalier, le télétravail n’est pas simplement une organisation interne de l’entreprise. Il a des incidences juridiques et fiscales, car il modifie le lieu d’exercice de l’activité. En droit fiscal, cela peut suffire à entraîner un transfert de la compétence d’imposition entre les deux pays.
Avant 2020, les textes ne prévoyaient pas explicitement ce type de situation. Mais avec la généralisation du télétravail, la nécessité d’un encadrement clair s’est imposée.
Une évolution récente et nécessaire
Pendant la crise sanitaire, la France et la Suisse avaient mis en place un accord temporaire pour neutraliser les effets fiscaux du télétravail. Celui-ci a été prolongé à plusieurs reprises jusqu’à l’adoption, en décembre 2023, d’un accord pérenne définissant un cadre précis pour les frontaliers en télétravail, entré en vigueur au 1er janvier 2025.
Ce nouvel accord fixe les règles à respecter pour conserver le statut de frontalier tout en télétravaillant partiellement depuis la France.
Les accords fiscaux entre la France et la Suisse sur le télétravail
Pendant plusieurs années, le télétravail des frontaliers est resté dans une zone floue du droit fiscal. Pour éviter une insécurité juridique, la France et la Suisse ont d’abord signé des accords temporaires pendant la pandémie, puis ont convenu en 2023 d’un cadre fiscal durable, entré en vigueur au 1er janvier 2025.
Retour sur les accords temporaires pendant la crise sanitaire
Dès mars 2020, les autorités françaises et suisses ont mis en place un accord amiable temporaire :
Les jours de télétravail effectués à domicile en raison de la pandémie n’étaient pas pris en compte pour déterminer le lieu d’imposition.
Cette règle a été prolongée jusqu’en juin 2023 pour maintenir une stabilité fiscale. Mais elle n’était pas destinée à durer.
Un accord pérenne signé en 2023, en vigueur depuis 2025
Face à l’évolution des pratiques professionnelles, la France et la Suisse ont signé le 22 décembre 2023 un nouvel accord bilatéral. Celui-ci prévoit une solution durable pour encadrer le télétravail transfrontalier sans bouleverser l’imposition des travailleurs concernés.
Voici les grands principes :
- Jusqu’à 40 % de télétravail autorisé sans modification fiscale
Si un travailleur frontalier effectue au maximum 40 % de son temps de travail annuel depuis son domicile en France, il continue à être imposé dans le canton suisse où se situe son employeur (sous réserve du régime fiscal applicable au canton concerné). - Au-delà de 40 % : changement d’imposition possible
Si ce seuil est dépassé, la France peut alors considérer que le salarié exerce une partie substantielle de son activité sur son territoire. Il risque donc d’être partiellement ou totalement imposé en France, ce qui peut remettre en cause son statut de frontalier fiscal.
Application cantonale
Cet accord concerne les cantons suisses signataires de la convention fiscale avec la France, dont les principaux cantons frontaliers (Genève, Vaud, Valais, Neuchâtel, etc.). Cet accord était primordial pour vous, ainsi que votre employeur, notamment à Genève, où un accord particulier sur le prélèvement à la source s’applique.
Quel impact sur l’imposition du frontalier ?
Le nouveau cadre fiscal instauré en 2025 permet aux frontaliers de télétravailler jusqu’à 40 % de leur temps annuel depuis la France sans modifier leur régime d’imposition. Mais dès que ce seuil est franchi, la situation devient plus complexe.
Cas n°1 : télétravail ≤ 40 %
Tant que le travailleur frontalier respecte cette limite, il reste imposé selon les règles habituelles, en fonction du canton où il travaille. Par exemple :
- Un salarié employé dans le canton de Vaud reste imposé dans son pays de résidence, selon les règles habituelles.
- Un salarié à Genève continue à être imposé exclusivement en Suisse, selon l’accord particulier du 11 avril 1983.
En clair : pas de changement fiscal, à condition de justifier du pourcentage de télétravail (via une attestation de l’employeur, un planning annuel, etc.).
Cas n°2 : télétravail > 40 %
Lorsque la part de télétravail dépasse les 40 % sur l’année :
- La France peut considérer que le salarié exerce une activité substantielle sur son sol.
- Le travailleur peut perdre son statut de frontalier.
- Une partie, voire la totalité de ses revenus suisses, peut devenir imposable en France.
Cela peut entraîner :
- Une hausse du taux d’imposition (en fonction des tranches françaises).
- Des complexités déclaratives (déclarations dans les deux pays, risque de double imposition).
- Une remise en cause du régime social si le télétravail devient majoritaire (sujet traité séparément dans la sphère sociale).
Conséquences à ne pas sous-estimer
Le basculement fiscal peut affecter :
- La charge fiscale nette (différences de barème entre les pays)
- L’accès à certaines déductions ou exonérations
- Le régime d’imposition des revenus du conjoint (si soumis à l’imposition commune)
Quelles démarches pour rester en conformité fiscale ?
Avec l’entrée en vigueur du nouvel accord fiscal franco-suisse, les frontaliers doivent être particulièrement vigilants. Il ne suffit plus d’appliquer un quota de jours de télétravail : il faut pouvoir justifier sa situation en cas de contrôle et s’assurer que l’imposition est bien conforme aux règles.
1. Informer son employeur
L’entreprise suisse doit être au courant de la situation et valider la fréquence du télétravail. Elle peut :
- Mettre en place une politique interne précisant les modalités du télétravail transfrontalier ;
- Fournir une attestation annuelle du pourcentage de télétravail, indispensable pour prouver le respect du seuil de 40 %.
2. Suivre et documenter ses jours télétravaillés
Le salarié doit être capable de démontrer :
- Le nombre exact de jours télétravaillés depuis la France ;
- La répartition entre présence en Suisse et à domicile ;
- Le respect du seuil annuel (généralement calculé en jours ou en pourcentage du temps de travail).
Un calendrier de télétravail signé par l’employeur peut être exigé par l’administration fiscale française ou suisse en cas de contrôle.
3. Remplir correctement ses obligations fiscales
Selon votre lieu d’emploi et votre taux de télétravail :
- Vous devrez déclarer vos revenus en France, même s’ils ont été imposés en Suisse ;
- Vous bénéficierez d’un crédit d’impôt pour éviter la double imposition (article 17 de la convention fiscale franco-suisse) ;
- L’administration fiscale peut exiger des documents justificatifs : contrat de travail, bulletins de salaire, attestations d’employeur, etc.
Télétravail et sécurité sociale : quelles conséquences en cas de dépassement du seuil ?
Au-delà des implications fiscales, le télétravail transfrontalier influe également sur le régime de sécurité sociale applicable. En effet, le lieu d’exercice de l’activité professionnelle détermine l’affiliation à un régime de sécurité sociale, conformément aux règlements européens en vigueur.
Le principe de territorialité en matière de sécurité sociale
Selon les règlements européens, notamment le règlement (CE) n° 883/2004, un travailleur est affilié au régime de sécurité sociale du pays où il exerce substantiellement son activité. Si un frontalier effectue plus de 40 % de son temps de travail en France, il est considéré comme exerçant une part substantielle de son activité en France.
Conséquences du dépassement du seuil de télétravail
Si un travailleur frontalier dépasse les 49,9 % de télétravail en France :
- Affiliation au régime de sécurité sociale français : il bénéficiera des prestations du régime français (Assurance Maladie, retraite, etc.). Son employeur sera soumis aux cotisations sociales françaises (URSSAF), une note qui pourrait lui coûter cher !
- Désaffiliation du régime suisse : il ne cotisera plus au régime suisse et ne bénéficiera plus des prestations sociales suisses.
- Obligations pour l’employeur suisse : l’employeur devra s’acquitter des cotisations sociales françaises pour la part d’activité exercée en France, ce qui peut entraîner des démarches administratives supplémentaires et surtout des frais supplémentaires
Le télétravail transfrontalier pour les travailleurs suisses frontaliers est une opportunité intéressante, mais il nécessite une gestion attentive des aspects fiscaux et sociaux. Avec l’entrée en vigueur du nouvel accord fiscal, les règles concernant le taux de télétravail autorisé ont évolué, permettant aux frontaliers de conserver quelques jours de télétravail par semaine.