Vous encaissez vos premiers gains en Bitcoin, Ether ou stablecoins ? Félicitations… mais attention : dès que l’on franchit quotidiennement la frontière entre Lausanne et Annemasse, la fiscalité des crypto-actifs devient un véritable casse-tête. Faut-il déclarer ses jetons côté suisse, côté français, ou des deux côtés ? Quel canton applique un impôt sur la fortune crypto ? Comment remplir le redouté formulaire 3916-bis et calculer vos plus-values soumises au PFU de 30 % ? Et surtout, que se passera-t-il lorsque l’échange automatique d’informations (CARF/DAC8) entrera en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2026 ?
Dans cet article, nous décryptons pas à pas les règles fiscales qui touchent les travailleurs frontaliers — de la valeur de votre portefeuille au 31 décembre pour l’impôt suisse, jusqu’aux sanctions prévues en France en cas d’omission. Notre objectif : vous aider à optimiser votre stratégie d’investissement et à éviter tout risque de redressement.
Sommaire
Comment fonctionne la fiscalité des cryptomonnaies pour les frontaliers ?
Les travailleurs frontaliers sont logés à une double enseigne : imposables en Suisse sur certains revenus (salaire, fortune) tout en restant redevables en France pour l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux. Lorsque des crypto-actifs s’invitent dans votre patrimoine, cette binationalité fiscale démultiplie les obligations (et les risques) si vous n’anticipez pas.
Deux administrations, deux visions de la crypto
- Côté suisse, les jetons sont traités comme des biens mobiliers : leur valeur au 31 décembre entre dans l’assiette de l’impôt sur la fortune cantonal/communal, et certains revenus (staking, airdrops, intérêts de lending) peuvent être assimilés à des rendements imposables.
- Côté français, la détention d’un compte d’échange étranger (Binance, Kraken, Ledger Live, etc.) doit être déclarée via le formulaire 3916-bis et chaque cession taxable relève du régime des plus-values soumis au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (sauf option pour le barème progressif).
Une surveillance accrue des flux transfrontaliers
L’époque où un wallet se cachait derrière une clé publique appartient au passé : à partir du 1ᵉʳ janvier 2026, le Crypto-Asset Reporting Framework (CARF) de l’OCDE et sa transposition européenne DAC8 obligeront les plateformes à transmettre automatiquement vos soldes et opérations aux autorités fiscales des pays concernés. La Suisse prévoit d’adopter ces standards selon un calendrier comparable, avec un premier échange d’informations dès 2027.
Risques de redressement et pénalités cumulées
Ne pas déclarer un compte ou omettre une plus-value peut coûter cher :
Pays | Sanction pour omission de déclaration de compte | Redressement sur plus-values non déclarées |
France | Amende jusqu’à 1 500 € par compte non déclaré (10 000 € si > 50 000 € d’actifs) + majoration 80 % pour activité occulte | PFU + intérêts de retard (0,20 %/mois) + majoration 40 % à 80 % selon mauvaise foi |
Suisse | Rattrapage de l’impôt sur la fortune sur dix ans + intérêts moratoires (cantonaux) | Impôt anticipé 35 % sur revenus dissimulés + rappel d’impôt cantonal/communal |
La mise en place de l’échange automatique réduit drastiquement la probabilité de passer sous les radars : mieux vaut donc sécuriser votre conformité dès maintenant.
Opportunité d’optimisation, pas seulement une contrainte
Comprendre ces règles permet aussi de profiter :
- Arbitrage de résidence fiscale : certains cantons appliquent un taux d’impôt sur la fortune plus faible que la charge PFU française, conférant un avantage pour conserver ses crypto en Suisse.
- Gestion active des plus-values : en France, les moins-values réalisées la même année s’imputent sur les gains crypto, limitant la base PFU.
- Diversification patrimoniale : la détention de crypto via une structure de prévoyance suisse (3ᵉ pilier libre) ou un contrat d’assurance luxembourgeois peut différer l’imposition.
En résumé, la fiscalité crypto des frontaliers n’est pas qu’un casse-tête : c’est un levier à maîtriser pour protéger vos gains et optimiser vos décisions d’investissement des deux côtés de la frontière.
Régime fiscal des crypto-monnaies en Suisse : ce que doit savoir un(e) frontalier·ère
Repère résidence
- La grande majorité des frontaliers restent résidents fiscaux français ; ils ne sont donc pas soumis à l’impôt sur la fortune suisse.
- Exceptions : statut de quasi-résident, résidence fiscale partagée, détention d’un bien immobilier en Suisse ou constitution d’une société helvétique. Dans ces cas, le patrimoine (y compris vos crypto-actifs) peut entrer dans l’assiette fiscale helvétique.
Impôt sur la fortune : déclarer la valeur vénale au 31 décembre
Point-clé | Règle suisse | Focus frontalier |
Base taxable | Les cryptomonnaies sont des biens mobiliers. Elles doivent être déclarées à leur valeur de marché au 31 décembre dans la déclaration cantonale de fortune. | Si vous devenez imposable en Suisse (quasi-résidence, bien immobilier, etc.), vos jetons entrent dans le calcul du taux effectif cantonal. |
Valorisation | L’AFC publie chaque année une liste (ICTax) ; à défaut de cotation, retenez le coût d’acquisition converti en CHF. | Gardez un extrait de portefeuille horodaté (print-screen ou fichier CSV) pour justifier la valeur. |
Taux | Selon le canton : ~ 0,1 % (Zoug) à 1 % (Genève). | Comparé au PFU français (30 %), ce prélèvement reste léger si vous êtes quasi résident suisse ; inutile pour un frontalier pur. |
Plus-values : un paradis… sous condition d’être “investisseur privé”
- Crypto = devise étrangère : la simple revente par un investisseur privé génère un gain en capital exonéré.
- Mais l’exonération tombe si vous êtes qualifié de trader professionnel (circulaire AFC n° 36) :
- rotation > 5× la valeur du portefeuille/an,
- bénéfice > 50 % du revenu net,
- utilisation de l’effet de levier, etc.
⇒ Pour un frontalier, rester dans les clous helvétiques n’exonère pas des plus-values françaises : la cession restera taxable à 30 % en France (voir la suite de l’article).
Revenus crypto (staking, mining, airdrops) : taxés comme revenu mobilier
Type de flux | Traitement fiscal suisse | Points de vigilance |
Staking / lending | Revenu de la fortune mobilière, imposé au barème progressif IFD + cantonal. | Conservez le relevé des rewards pour éviter la requalification en activité indépendante. |
Mining | Revenu d’activité indépendante ; charges techniques déductibles. | Peut déclencher affiliation AVS/AI si l’activité est substantielle. |
Airdrops | Valeur de marché imposable à la réception. | Chronologie des events essentielle pour éviter la double imposition France / Suisse. |
Impôt anticipé : pas de retenue sur les tokens de paiement
- Les jetons de paiement (BTC, ETH, etc.) ne sont pas visés par l’impôt anticipé de 35 %.
- Les jetons d’investissement qui versent des intérêts ou dividendes peuvent, eux, être soumis à cette retenue, récupérable via la convention franco-suisse.
Pourquoi conserver (une partie de) vos crypto en Suisse ?
Avantage | Explication |
Exonération de plus-value | Tant que vous restez dans le statut investisseur privé, les gains ne sont pas imposés en Suisse ; vous pouvez arbitrer sans frottement fiscal local. |
Stabilité réglementaire | Doctrine claire de l’AFC ; possibilité d’obtenir un ruling cantonal pour sécuriser un projet DeFi ou une ICO. |
Taux d’imposition modérés | Même en cas d’imposition (wealth tax ou revenus de staking), les taux suisses demeurent souvent inférieurs aux prélèvements sociaux français. |
Attention 2026 !
L’entrée en vigueur du Crypto-Asset Reporting Framework (CARF) et de sa transposition européenne DAC8 obligera les plateformes suisses à transmettre vos soldes et transactions aux autorités françaises. Les “non-déclarés” risquent un rappel PFU + amendes ; mieux vaut aligner ses pratiques avant le premier échange automatique (prévu pour 2027 côté suisse).
À retenir
Pour un(e) frontalier·ère, la Suisse demeure attractive : aucune taxe sur les plus-values privées et une fiscalité modérée sur la fortune ou les revenus passifs. Mais l’arrivée de la transparence internationale réduit la marge d’erreur : anticipez votre stratégie de détention et assurez-vous de rester dans la zone “investisseur privé”, faute de quoi le bénéfice sera, de toute façon, repris par l’administration française dans votre déclaration n°2042-C/3916-bis.
Fiscalité des cryptomonnaies en France : mode d’emploi pour les frontaliers
Même si vos revenus salariés sont imposés à la source en Suisse, votre résidence fiscale reste française ; à ce titre toutes vos opérations crypto relèvent du droit français. Les règles sont strictes mais, bien maîtrisées, elles permettent d’anticiper l’arrivée de l’échange automatique d’informations (CARF/DAC8) en 2026.
Déclarer ses comptes étrangers : le fameux formulaire 3916-BIS
Ce qu’il faut déclarer | Quand | Comment | Sanctions |
Tout compte d’actifs numériques (Binance, Kraken, Swissborg…) custodial ouvert, détenu, utilisé ou clos hors de France | Chaque année (déclaration n° 2042) | Annexer le CERFA 3916-BIS millésime 2025 et cocher la case 8UU | 750 € par compte non déclaré, 1 500 € si la valeur dépasse 50 000 € (art. 1736 CGI) |
Les wallets non-custodial (Ledger, Metamask) échappent à 3916-BIS, sauf si vous déléguez vos clefs à un tiers.
Imposition des plus-values : PFU 30 % ou barème progressif au choix
Seuil de déclenchement | Régime de droit commun (par défaut) | Option | Textes & sources |
Cessions annuelles > 305 € (toutes plateformes confondues) | Prélèvement forfaitaire unique 30 % (12,8 % IR + 17,2 % prélèv. sociaux) | Barème progressif de l’IR (case 3VG) si plus avantageux | art. 150 VH bis CGI ; fiche Bercy Ministère de l’Économie |
Formule officielle de calcul (BOFiP) :
Gain = Prix de cession – [Prix total d’acquisition net × (Prix de cession ÷ Valeur globale du portefeuille avant cession)]
- Les moins-values s’imputent sur les gains crypto de l’année et se reportent pendant 10 ans.
- Au-delà de 50 000 € de gains, la contribution exceptionnelle sur hauts revenus (3 %–4 %) peut s’ajouter.
Professionnel ou particulier ?
Critères de bascule (DGFiP) | Conséquence fiscale |
Trading à titre habituel, levier, revenus principaux tirés de la crypto | Bénéfices non commerciaux (BNC) : imposition au barème + cotisations sociales, tenue comptable obligatoire |
Pour un(e) frontalier·ère investisseur particulier, rester occasionnel limite la charge à 30 %.
Revenus passifs : staking, lending, airdrops, mining
Type de flux | Traitement IR | Contributions sociales |
Staking / lending | Revenu mobilier (case 2TS) | 17,2 % (inclus dans PFU) |
Airdrops | Valeur de marché imposable l’année de réception | idem |
Mining | BNC (micro-BNC ou réel) | URSSAF si recettes > activités annexes |
Points de vigilance pour les frontaliers
- Plateformes suisses ≠ anonymat : elles seront tenues de transmettre vos soldes à la DGFiP dès la première vague d’échanges CARF/DAC8 le 1ᵉʳ janvier 2026.
- Double contrôle : si vous avez déclaré vos avoirs au fisc suisse (quasi-résident) mais omis le 3916-BIS, l’écart sera détecté.
- Conversion CHF → EUR : utilisez le taux de la Banque de France du jour de la cession pour vos calculs.
- Justificatifs : conservez exports CSV, relevés de staking et historique des dépôts ; ils seront exigés en cas de contrôle.
Check-list déclarative 2025
- Générer le résumé annuel des transactions (CSV) sur chaque exchange.
- Remplir CERFA 2086 pour chaque cession imposable.
- Reporter le total net (case 3AN/3BN) dans la 2042-C.
- Joindre 3916-BIS pour chaque compte crypto étranger.
- Archiver les preuves de conversion EUR / CHF et les frais.
À retenir
Pour un(e) frontalier·ère, la France applique une fiscalité stricte : PFU 30 % sur les gains > 305 €, amende jusqu’à 1 500 € par compte omis et transparence totale dès 2026. En vous conformant dès maintenant, vous sécurisez vos plus-values et évitez les pénalités, tout en restant libre d’optimiser votre exposition côté suisse.
Suisse vs France : le comparatif fiscal express
Poste fiscal | Suisse | France | Impact pour un·e frontalier·ère |
Déclaration de détention | Valeur du portefeuille au 31 décembre dans la déclaration cantonale de fortune (si résident/quasi-résident). | Déclaration annuelle des comptes d’actifs numériques étrangers via le CERFA 3916-BIS. | Les comptes custodials (Binance, Swissborg…) ouverts en Suisse doivent être listés dans la 3916-BIS, même si vous les avez déjà signalés au fisc suisse. |
Taxation des plus-values | Exonérées pour l’« investisseur privé » ; imposées comme revenu si activité qualifiée de professionnelle. | PFU 30 % par défaut sur chaque cession imposable ; option pour le barème progressif. | Les cessions restent imposables en France, même si elles sont exemptées côté suisse. |
Impôt sur la fortune / Wealth tax | Taux cantonal progressif ~ 0,3 % – 1 % sur la valeur en CHF du 31 déc. | Pas d’IFI sur les crypto-actifs (non inclus dans la base taxable). | Un quasi-résident peut être soumis au wealth tax suisse alors qu’il n’en paiera aucun équivalent français. |
Revenus passifs (staking, lending, airdrops) | Assimilés à un revenu mobilier imposable au barème. | Inclus dans le PFU (ou barème sur option). | Double déclaration possible : revenu suisse + PFU français si les tokens sont rapatriés ou cédés. |
Échange automatique d’informations | Adoption du CARF : premier échange prévu en 2027. | DAC8 applicable au 1ᵉʳ janvier 2026 : transmission des données crypto à la DGFiP. | Les écarts de déclaration seront détectés ; anticipez avant 2026. |
Sanctions en cas d’omission | Rappel d’impôt sur la fortune + intérêts moratoires. | Amende 750 € / 1 500 € par compte non déclaré ; majorations 40 % – 80 % sur plus-values occultées. | Le cumul est possible si la plateforme suisse transmet vos données et que votre 3916-BIS est manquante. |
Ce qu’il faut retenir
- Arbitrage mais transparence : la Suisse conserve un avantage sur les plus-values (exonération) et l’absence d’IFI, mais l’arrivée de CARF/DAC8 rend impossible le non-report côté français.
- Stratégie idéale : conserver la gestion quotidienne (trading, réallocations) sur un exchange suisse pour profiter de l’exonération helvétique, tout en soldant régulièrement les gains imposables afin de piloter votre PFU français avec les moins-values.
- Check-list 2025 : mettre à jour votre tableur de conversions CHF/EUR, télécharger vos CSV d’opérations et préparer vos 3916-BIS avant le verrouillage déclaratif de mai 2026, après quoi les plateformes transmettront directement vos soldes.